CANTILÈNE

Publié le par Dolorosa

CANTILÈNE

 

Chanson d’amour triste et cruelle, ou l’histoire d’une obsession… C’est vous qui pourrez me dire ce que vous en pensez. Il y a bien longtemps, ce type de chanson accompagnait les tisserandes au travail. Moi, je ne tisse que des histoires.

 

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Il est entré un soir, charmant, souriant,
M’a prise dans ses bras et m’a dit :
« Tu es belle et je t’aime,
Prends cette rose en gage de mon amour. »

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’entends.

J’entends encore sa chanson tendre
Qui me faisait vibrer comme l’âme du violon.
Je lui ai répondu, j’ai ouvert mon cœur,
J’ai ouvert mes bras, j’ai ouvert ma vie.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Il est entré dans ma maison, l’a trouvée jolie,
M’a serrée dans ses bras, m’a posée sur le lit,
Il a froissé mes dentelles, enlevé mon jupon,
Ôté mes bas blancs et mon caraco léger.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’entends.

J’entends encore son grand rire amoureux,
Qui m’avait fait sortir au grand soleil.
Je ne me souvenais pas que l’amour
Était si joyeux, si lumineux, si précieux.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Il m’a dit : « Le vent du large est de retour ! »
« Il revient me chercher, comme il m’a amené ici. »
« Il faut que je le suive vers des terres inconnues, »
« Des fleuves insondables, des îles fortunées. »

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Il m’avait dit encore : « Quand j’aurai tout vu,
Je reviendrai vers toi, car je t’aime toujours.
N’oublie pas la rose que je t’ai donnée ! »
Le dos déjà tourné, il m’a lancé : « À Dieu ! »

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Et c’est le temps de l’attente grise,
Des heures qui s’écoulent trop vite, trop lentement.
C’est le temps de la longue, longue patience,
Le temps des soupirs, des désirs enfuis, des souvenirs.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Où est-il arrivé ? Dans quel pays ?
Quelle langue parle-t-il ? Chante-t-il sa chanson ?
Est-il heureux ? Est-il triste ? Que mange-il ?
Est-il encore vivant ? Nul voyageur ne l’a vu.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Chaque jour, je me pare de mes beaux atours,
Je soigne ma tenue, j’entr’ouvre mon corsage,
Je me coiffe, je me maquille, je me parfume.
C’est peut-être aujourd’hui qu’il va me revenir !

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Hélas ! La grande horloge dorée se moque de moi !
Ses aiguilles me griffent les yeux, percent mon cœur !
L’armoire à glace me regarde, avec tant de mépris
Depuis que je suis seule à m’y refléter désormais.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Le temps saccage tout, mes dentelles se fanent.
J’ai dû raccommoder mon jupon qui danse.
Et mes habits de fête sont désormais vieux, démodés.
La poussière du temps envahit la maison.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

Il n’est pas revenu, et mes cheveux sont gris.
On se moque un peu de moi : « La pauvre petite,
Elle a eu des malheurs. Ils l’ont rendue ainsi. »
C’est vrai que je vis à petit feu, à petit bruit.

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.

À bout de chagrin, j’ai été chercher l’écrin
Où repose la rose merveilleuse, la rose de mon amour.
Mes doigts tremblants ont tout laissé tomber soudain,
La rose, ma rose, mon amour, elle est en papier !

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends à peine.

N’ayez pas peur de moi, je ne suis plus,
Je ne suis plus qu’une ombre inconsolée, inconsolable.
Un fantôme éperdu d’amour à en perdre la vie.
Un spectre en pleurs qui hante doucement sa maison !

Il est parti,
Celui que mon cœur aime,
Et je l’attends.
Au-delà du temps.

Dites-moi donc, savez-vous qui est ce vieux monsieur ?
Il marche tout courbé sur une canne noire, tremblant un peu,
Il boîte très bas et ses cheveux sont blancs ?

C’est mon amour ! Il m’est revenu !
Et cette fois, tu ne partiras plus !

 

Achevé en août 2015
À Neuves-Maisons.

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